Concours de fanfic' n°2 [Votes ouverts]

_____________________________________________________________________________________________

________________________________________________________________________________

__________________________________________________________________________________

(Retour à l'histoire)

_________________________________________________________________________________________

(Retour à la discussion entre Ishimaru et l’homme)

Je faisais face à un ancien collège. Cette structure, un peu à l’écart des autres, avait été organisée de manière classique : une cour dans laquelle on entrait par une vaste grille, un hall central autour duquel s’organisaient les couloirs et les salles de classe, les bureaux de l’administration avaient été bâtis sans le moindre raccord avec le reste. Toutefois, à l’image de la plupart des bâtiments, l’état de délabrement se faisait considérablement sentir. La grille, rouillée en maints endroits, gisait à terre depuis des années. Dans la cour, le sol était craquelé et soulevé par les racines des arbres. Les murs qui n’étaient plus entretenus depuis la Catastrophe avaient perdu de leur superbe, la plupart étant fissurés et d’autres troués. Les fenêtres avaient été brisées et elles ressemblaient maintenant à de grands yeux vides et sans espoir. Ce lieu qui jadis avait été un lieu de vie était maintenant un espace vide. Il n’y avait plus le moindre cri, plus le moindre rire, plus la moindre dispute et plus le moindre jeu. Alors que je pénétrais les lieux, je me disais que je n’avais rien de particulier, sinon le sac à dos que je portais et qui était plein à ras bord. Je savais que celles et ceux que j’étais venu rejoindre seraient emballés par le contenu de mon sac. Cependant et comme à chaque fois, j’avais de l’avance. J’allais devoir attendre la venue des gamins.

           Je décidais alors d’entrer dans le hall par un espace jadis vitré et aujourd’hui ouvert aux quatre vents. Je connaissais les lieux par cœur. Ainsi empruntai-je le seul escalier encore viable et qui ne menaçait pas de s’effondrer pour monter au premier étage. Là, je pris le temps de contempler un court instant ce couloir que je devais emprunter. Je l’avais déblayé seul et je l’entretenais également un minimum. J’aimais cet endroit. Et pourtant, je décidais alors de l’arpenter avec célérité avant de m’arrêter à proximité d’une porte à moitié arrachée de ses gonds. Derrière la porte, se trouvait une salle. Ce n’était qu’une ancienne salle de classe. Une salle vide. Une salle qui avait perdu son âme. Mon regard se posa un instant sur les rangées de tables. En tout huit rangs de quatre tables à chaque fois avec comme une sorte d’allée centrale au milieu. Mais la couche de poussière démontrait que ces lieux n’étaient plus arpentés depuis des années. Sur la droite, un tableau noir à craies, entre lui et les tables un bureau surélevé. Mon regard se porta alors vers l’horizon, contemplant le paysage de ruine à travers les fenêtres brisées. L’horizon était tout aussi désert que cette salle. De là où je me tenais, je pouvais contempler les bâtiments de la ville. Ils étaient tels des géants épuisés et brisés. Plus loin, un champ d’éoliennes. Les pâles gracieuses n’avaient plus tourné depuis plus de quinze ans. Beaucoup gisaient à terre, seules quelques unes avaient résisté aux divers cataclysmes qui avaient touché la région depuis la Catastrophe. Dans ce monde à l’arrêt, tout semblait figé. Il n’y avait plus ce brouhaha continu de cette époque révolue, tous ces bruits avaient disparu, laissant place au silence.

           Et dans ce farouche silence, enfin je pris la décision d’entrer dans la salle. Posant mon sac à terre, je l’ouvris pour en sortir quelques feuilles blanches trouvées un jour par hasard. Je choisis une table tout en y chassant la poussière du mieux que je le pouvais avant de m’asseoir dessus. Je pris une première feuille et après quelques pliages j’obtins un bel avion en papier. D’un geste ample je le lançais à travers la salle. L’avion prit gracieusement son envol, il fusa à travers la pièce tout en tournoyant, avant de retomber lentement et de finir sa course au sol. Machinalement, j’en pris une deuxième, réalisant ainsi un nouvel avion que je lançais à son tour. Continuant ainsi encore et encore. Et rien ne venait me distraire de ce silence. Rien sinon quelques pensées égarées, d’étranges rêveries qui comme les avions s’élevaient et retombaient. D’un simple geste d’une main je lançais un énième avion en papier. Il rejoignit ainsi les autres dans leur danse effrénée. Il monta dans un mouvement circulaire, puis il entama sa descente. Une brise légère pénétra la pièce par les fenêtres brisées et l’avion, comme tous les autres, entama une remontée. Mais combien en avais-je donc lancé ? Je l’ignorais. Et je n’avais guère envie de les compter.

           C’est alors que je perçus un petit bruit. Un miaulement retentit soudainement. Tout en me retournant vers la porte je vis un chat entrer dans la salle et qui se dirigeait vers moi. Il s’agissait d’un chat tricolore avec une grande dominance du blanc en plus de noir et de marron sous forme de tâches. Je connaissais bien cet animal, il appartenait aux gamins qu’il suivait partout. D’un simple geste j’invitais le chat à me rejoindre sur la table et ce dernier ne se fit pas prier. Son saut incroyablement gracieux lui permit dans l’instant suivant de se tenir à mes côtés. Le chat commença à se frotter contre mes mains. Alors que je lui grattais le haut de la tête, il ferma les yeux et commença à ronronner tranquillement. Une voix se fit entendre, une voix qui appelait le petit chat en question. Une voix d’enfant.

           - Noukii ! Noukii où es-tu ? Noukii !

          Ainsi étaient-ils arrivés. Sans réfléchir je descendis de cette table. Quand mes pieds touchèrent le sol, un petit nuage de poussière s’éleva quelque peu et tournoya dans les airs avant de retomber délicatement à terre. Noukii me regarda, lançant un petit miaulement comme pour réclamer de nouvelles caresses. Je tendis ma main droite pour répondre à sa demande avant de me diriger vers les fenêtres brisées. De là où je me tenais, je pouvais voir le groupe d’enfants et d’adolescents ainsi que la jeune femme qui veillait sur eux, les accompagnants à chaque fois.

           - Il est avec moi, lançais-je alors et surprenant ainsi le groupe, je descends avec lui et l’on se retrouve au Sanctuaire.

           Avant de me détourner des fenêtres je répondis aux grands signes qu’ils me faisaient. Je n’étais pas vraiment quelqu’un de très sociable mais j’aimais bien ces gamins. À leur contact je trouvais une certaine sérénité qu’eux seuls pouvaient me procurer. Je pris mon sac à dos ainsi que Noukii dans mes bras pour me diriger vers l’ancien centre de documentation et d’information, nouvellement nommé le Sanctuaire par les enfants.

           Et nous nous retrouvâmes tous en ce lieu. Les enfants semblaient joyeux et tout excités. Comme à chaque fois ils se précipitèrent vers moi. Je n’aimais guère les effusions de ce genre, en vérité j’étais plutôt quelqu’un d’assez renfermé sur moi-même. Je n’étais pas vraiment capable de répondre à leurs sourires, le mieux que je pouvais faire étant de caresser quelque peu leurs cheveux. Il y avait là le groupe dans son ensemble. Luffa était une petite fille de moins de dix ans. Elle était plutôt rêveuse et fantasque et son espoir le plus cher était un jour de pouvoir voir et jouer avec une loutre. Kenedy, une autre jeune fille, qui elle avait dépassé les dix ans et qui était la poétesse du groupe. Autre jeune fille du groupe, une dénommée Luchia, elle son talent était le dessin. On trouvait aussi Asha, une fille déjà plus âgée et qui elle était une amoureuse des loups, Yashu un garçon qui parfois pouvait partir dans des délires assez incroyables mais qui avait un don pour calmer les tensions entre les gens. La jeune femme qui les accompagnait, qui était plus ou moins de mon âge c’est-à-dire la vingtaine passée, se nommait Laureline. Elle était, selon les critères en vigueur, une beauté. Elle m’adressa un sublime sourire auquel je répondis par un simple geste de la tête.

           L’excitation des enfants monta encore quand ils remarquèrent le sac à dos que je portais. Et ils n’étaient pas dupe, tous savaient qu’il était rempli de mangas que j’avais trouvé parmi les ruines ou les bâtisses abandonnées. Nous entrâmes alors dans le Sanctuaire, terme qu’ils avaient trouvé dans Saint Seiya. Et dans ce Sanctuaire, le cercle qu’ils composaient, ou plutôt ce cercle que nous composions tous, le Manga No Sekai, se réunissait régulièrement pour partager un moment de rêve, comme une parenthèse dans nos vies et dans ce monde misère. L’ancien CDI n’avait pas été trop endommagé ni marqué par le temps, une sorte de miracle en somme. La structure était stable et ne menaçait pas de s’effondrer. Nous pouvions ainsi passer des heures dans ce lieu sans craindre le moindre danger. Toutefois, je gardais mes sens en alerte. Depuis des années cette contrée était tranquille, sans milices ni pilleurs, mais on ignorait ce qui pouvait advenir dans ce monde. D’ailleurs, je portais sur moi quelques armes, personne ici n’en avait conscience.

           Ouvrant le sac je commençais la distribution auprès de mes gamins. Oui, mes gamins. Il m’arrivait de les percevoir ainsi, malgré mon renfermement sur moi et mon manque de sociabilité. J’aimais ces instants et je m’étais attaché à ces enfants. Nous vivions tous dans un monde difficile, complètement à l’abandon. Tous les éléments qui avaient constitué l’ancienne société n’étaient plus. Les gosses venaient d’une communauté et moi j’étais plutôt un semi-solitaire qui allait et venait, vivant un peu à l’écart de mes prochains mais sachant apprécier certains moments à leur contact, comme ces instants quand nous formions ce cercle du Manga No Sekai. Depuis déjà quelques années, ces gamins avaient découvert les mangas. Bien entendu, dans un monde qui n’était plus que ruines, il était assez difficile d’en trouver encore en état. D’ailleurs telle était ma mission quelque part, trouver des mangas encore en état en fouillant à travers les maisons vides et les anciens magasins. J’en profitais aussi pour constituer une vaste bibliothèque que je gardais secrète pour le moment tout en faisant de la récupération que je troquais ensuite avec les différentes communautés de la région. Pour la plupart des survivants de la Catastrophe, les anciennes villes étaient devenues des lieux quasi maudits, nous étions assez rares à encore les arpenter.

           Les enfants étudièrent les mangas que j’avais apporté. Grâce à ma mémoire eidétique je savais toujours ceux qu’ils possédaient. Ainsi, à chaque fois, j’apportais du « neuf » auprès des gamins. Et pour quelques heures, cet endroit retrouvait des rires et des jeux, de la passion mais aussi un peu de son but initial : transmettre un enseignement. J’essayais d’apporter certaines connaissances à ces enfants à travers notre cercle et nos réunions. Parfois, je leur contais des histoires, tirées de mangas animés qu’ils ne pourraient jamais voir.

           D’ailleurs après différentes activités, comme contempler et commenter les nouveaux dessins en style manga de Luchia, écouter quelques poèmes de Kenedy, délirer sur les loutres tous ensembles (il y avait tout un débat, pour une partie du groupe les loutres étaient le Bien et pour l’autre elles étaient le Mal), découvrir de nouveaux mangas etc, vint le moment pour moi de leur conter une histoire. Lors de notre dernière réunion, j’avais raconté Mon Voisin Totoro et aujourd’hui je comptais leur faire découvrir Princesse Mononoké. Je gardais pour moi Nausicaä de la vallée du vent, comme nous vivions nous-mêmes dans un monde postapocalyptique, j’avais comme l’étrange pressentiment que les gamins n’accrocheraient pas vraiment à cette histoire. Ils firent cercle autour de moi, Noukii le petit chat vint squatter mes genoux, il se mit en boule et s’endormit en ronronnant faiblement. Leur ayant déjà apporté des éléments de culture générale sur le Japon, je pouvais maintenant me lancer.

           - C’était il y a bien longtemps, commençais-je en reprenant l’introduction du film et petit monologue de narrateur du début, dans une contré lointaine, jadis recouverte de forêts. En ce temps là l’Esprit de la Nature veillait sur le monde sous la forme d’animaux gigantesques. Hommes et bêtes vivaient en harmonie. Mais les siècles passants, l’équilibre se modifia. Les rares forêts que l’Homme n’avait pas saccagé furent alors protégées par des animaux immenses qui obéissaient au grand Esprit de la Forêt. C’était le temps des dieux et le temps des démons.

           Et ainsi nous partîmes pour quelques heures. Les enfants oublièrent cette vie âpre et ces villes désertes, ce monde à l’abandon et les craintes qui animaient les survivants de la Catastrophe. J’animais l’histoire avec ma voix dont je jouais comme un instrument de musique. J’alternais les descriptions qui les entraînaient dans une sorte de rêve éveillé et l’action pour les faire frémir. Pour eux, le monde extérieur n’existait plus, moi-même je n’existais plus. Il n’y avait plus que ma voix et les images qu’ils avaient en tête. Je voyais les étoiles qui brillaient dans leurs yeux. Tout le temps qu’ils passaient ici leur permettait ensuite de tenir dans un monde qui restait à reconstruire. Et ce jour là, je compris bien malgré moi qu’ici se trouvais aussi la clé de ma volonté, presque ma raison de vivre. Le simple fait de donner un peu de bonheur à mes gamins, de les entraîner ainsi par le flot de mes paroles dans du rêve à l’état pur, transmettre et ainsi sauvegarder des histoires qui jadis me firent rêver moi aussi, tout cela causait en moi un sentiment indescriptible.

           - Et c’est alors, qu’au beau milieu de la nouvelle forêt, qu’un sylvain apparut. Il s’avança d’abord timidement puis, comme un défi, il bougea sa tête de cette manière particulière dont ils avaient le secret lui et les siens. Et ainsi retentit une nouvelle fois ce petit bruit que seuls ces esprits étaient capables d’émettre. Ce petit être, ce bruit presque insignifiant, autant de promesses d’une nouvelle prospérité pour cette forêt et les animaux qui déjà revenaient pour la peupler.

           Ainsi s’acheva mon récit. Les gamins restèrent silencieux, sans bouger, avec toujours autant d’étoiles dans leurs yeux. Je sentis mes ultimes barrières fondre comme neige au soleil et à cet instant, sans m’en rendre compte, mon visage devait exprimer toute la tendresse que j’avais pour eux.

           - Roland, tu souris ! S’exclama alors la jeune Luffa.

           J’en fus sans doute plus étonné qu’eux. Mais rien ne me permettait de remettre sa parole en doute.

           - Venez, faites un cercle pour resserré autour de moi !

           Je pris Noukii pour le poser au sol. À cet instant je me suis levé, j’ai posé genoux à terre et mes bras ont enlacé les enfants qui s’étaient regroupés suite à ma demande. Le silence s’en suivit et dura longuement. Nul ne bougeait et nul ne disait mot.

           - Merci à vous les enfants.

           Telles furent mes seules paroles en me relevant. Je pris la direction de la sortie, j’avais besoin d’un peu de solitude pour remettre mes idées en place. Après de longues minutes, Laureline vint me rejoindre. Sans savoir pourquoi je lui adressai un sourire un peu timide qui visiblement la troubla.

           - As-tu déjà envisagé la possibilité de venir vivre dans notre communauté, me demanda-t-elle après un silence gênant.

           - Pas vraiment jusqu’à maintenant, ou alors pas de manière consciente.

           - Et maintenant ?

En regardant cette jeune femme, je sentis en moi cette transformation continuer de plus belle. Elle … elle avait vraiment quelque chose. Quelque chose que je ne pouvais expliquer. Je compris juste à cet instant que j’aimais sa présence à mes côtés, même si l’on avait jamais vraiment parlé tous les deux. Nous nous regardions en silence, et ses yeux noirs avaient quelque chose … d’envoûtant.

           - Peut être … oui … je crois que oui. J’ai envie de venir chez vous …

           - Chez nous, me lança-telle avec un sourire enjôleur.

           - Chez-nous, murmurais-je alors.
           
Ce fut la toute dernière fois que je vins seul en ce lieu. Par la suite, à chaque fois que nous venions ici pour le Manga No Sekai, toujours je vins avec ces quelques personnes, des anonymes, des gens simples, des gens de rien. Et pourtant, tout comme les mangas qui formaient l’univers des enfants, ces gens formaient le mien.

Lorsque deux rivières se lient pour devenir un fleuve, leurs eaux se mélangent pour n'en former plus qu'une.
La terre se creuse sous l'eau capable d'éroder les roches, l'incendie ravage la forêt, le vent et ses courants créaient les vagues. Autant de vérités que vous aborderez d'un tout autre œil après cette histoire. Une histoire qui conte les origines d'une famille, et dont la lignée sans doute perdurera à jamais.

Un temps orageux planait sur la forêt ce soir-là. Insectes, mammifères, oiseaux et reptiles s'étaient abrités et attendaient patiemment l'aube. Tous, sauf un.
Au cœur du bois sur un sentier boueux, dévalait à toute vitesse une tâche bleutée. Trop concentrée par le message qu'elle devait délivrer d'urgence à la Reine, celle-ci s'emmêla les pattes et tomba face contre terre. Maintenant qu'elle ne bougeait plus, on pouvait lui discerner de longs poils fins aux reflets bleus argentés, de petites griffes aiguisées, un museau humide et de longues moustaches. Tout cela sur un corps allongé et plutôt souple. Vraisemblablement c'était une loutre, un mâle plus précisément, assez particulier par son pelage.
Il se releva, le museau recouvert de terre mouillée, et repris sa course. Très vite, il atteint l'entrée de ce qui semblait être un immense terrier creusé très profondément. Il y plongea la tête la première sans aucune crainte avant d'atterrir sur une montagne de feuilles mortes qui amortirent sa chute.
Deux immenses loutres au garde à vous, armées de lances menaçantes, n'eurent même pas le temps de le saluer qu'il était déjà à l'autre bout du tunnel, dévalant les escaliers quatre à quatre.
Pressé, il ne prit pas la peine de montrer son accréditation aux Gardiennes de la Salle du Trône et se précipita en-dedans.
La Reine avait hérité du Royaume de la Pax Lutra depuis une dizaine d'années, suite au très long règne de sa mère Yüce, dorénavant trop âgée pour honorer ses fonctions. La famille royale avait comme avantage génétique de posséder une force sur-loutresque, et la Reine Luffa n'y avait pas échappée. C'était une loutre colossale, dont la vue et l'ouïe étaient sur-développées.
Lorsqu'il fit irruption dans la salle, celle-ci était installée majestueusement, habillée d'une grande couronne de velours rouge aux armatures d'or trônant sur sa tête.
-Reine Luffa, pardonnez mon impolitesse mais j'ai eu vent d'une effroyable nouvelle ! s'écria-t-il paniqué.
-Parle donc ! s'exclama-t-elle vraisemblablement habituée aux aises que prenait son sous-fifre.
-Pour aller droit au but, la fille de Yashuriken, communément dit Yashu, prépare une guerre contre nous.
Surprise, la Reine faillit en perdre sa couronne et son attention s'aiguisa davantage.
-Notre espion sur place m'a informé de ses plans. Elle compte faire encercler le village par ses sbires lorsque la Lune sera pleine. Elle fera alors boucher les entrées de nos tunnels pour nous affamer et prendre le contrôle de notre Royaume plus facilement.
-Qu'en est-il des sorties secrètes en cas d'invasion ?
-Elle connaît leurs emplacements, ma Reine...
-Mais pourquoi diable souhaiterait-elle nous envahir ? s'emporta-t-elle. Je n'ai jamais eu vent d'une quelconque descendance dans la lignée des Neufs. Il semblerait que vos espions ne soient pas au point Aotora. Étant le capitaine de la Brigade d'espionnage, je compte sur vous pour que cela ne se reproduise plus. Ce sera le premier et dernier avertissement.
La petite loutre bleue, aussi discrète qu'elle pouvait l'être, n'aurait jamais pu se soustraire au regard noir que lui lança la Reine. Il avala sa salive lorsqu'elle reprit :
-Quelle âge a cette enfant ?
-Ce...ce n'est plus une enfant ma Reine, la longueur de ses crocs laisse penser que sa vie s'est déjà écoulée d'au moins deux décennies, répondit Aotora qui ne comprenait pas comment ses espions avaient pu passer à côté d'une information aussi cruciale.
-Elle est donc à l'apogée de sa force de louve. Quelle est son nom ?
-Asharingan, surnommée Asha par ses soldats. Des soldats sur-entraînés pour ne rien vous cacher. D'après Fullbusters, l'espion qui a intégré leurs rangs, elle pense que cela n'a que trop duré. Que la terre de son ancêtre doit être récupérée, expliqua Aotora.
Luffa s'affaissa sur son siège : ce qu'elle avait redouté pendant des années se produisait.
-Les anciennes querelles de nos aïeux refont donc surface... Je pensais que le pacte d'entente mis en place par Yashu et moi-même nous protégerait de toute offensive !
-Ce qui est en partie vrai ! Yashu n'a aucune connaissance des intentions de sa fille.
-Elle trahit donc notre Royaume mais aussi son père, sous prétexte que nos terres lui appartiennent ! Merci pour toutes ces informations Aotora, tu peux disposer.
Sans attendre, il sortit de la pièce laissant la Reine avec pour seule compagnie sa conseillère Arisu en qui elle avait entièrement confiance. En refermant la porte, il vit Luchia, Héritière du trône de la Pax Lutra, qui vraisemblablement écoutait leur discussion quelques secondes plus tôt à travers la porte.
Les Gardiennes de la Salle du Trône, allongées de tout leur long sur le sol, ronflaient paisiblement.
-Qu'est-ce que vous avez encore fait Princesse Luchia ? souffla désespérément Aotora.
-Mais rien du tout ! lui sourit-elle d'un air angélique.
-Vous ne m'aurez pas cette fois, expliquez-vous si vous ne voulez pas que j'en informe votre mère.
-Rooh, vous êtes vraiment pas marrant... Je vous ai seulement vu courir comme un dératé puis aller voir ma mère, vous auriez été à ma place vous auriez fait de même ! se défendit-elle.
-Sauf que je suis un espion, mon rôle est d'être informé de tout dans ce Royaume ainsi que des éventuelles menaces extérieures, répliqua dignement le capitaine en charge de l'espionnage.
Luchia profita de cet instant d'égarement pour tourner les talons, mais il n'était pas dupe et la retint.
-Hop hop hop, avec tout le respect que je vous dois mademoiselle l'Héritière, dîtes-moi ce que vous avez entendu, et vite.
Son ton autoritaire dissuada la jeune fille de toute nouvelle fuite.
-J'ai tout entendu, après je n'ai pas tout compris...avoua la jeune loutre au pelage nacré.
-Je compte sur vous pour ne rien communiquer de cette affaire à qui que ce soit. Est-ce clair ?
-Absolument. A condition que vous m'expliquiez jusqu'au moindre détail ce qu'il se passe.
-Vous êtes incorrigible ! Venez avec moi, des oreilles indiscrètes pourraient venir à traîner dans ces sombres couloirs.
Il l'emmena alors dans l'un des tunnels abandonné, très peu fréquenté par la population.
-Tout d'abord, qui sont Yashuriken et Asharingan ? entama t-elle sans détour.
-Yashuriken est l'un des descendants des Neufs Loups Alpha qui ont formés les Neufs Contrées qui constituent notre île. Le partage territorial qui forma le nombre actuel de nos contrées s'est effectué il y a plus de mille ans par les Neufs chefs de meutes.
Leur puissance était bien supérieure à la notre, les Loutres. Mais à trop s’asseoir sur leurs acquis, ils oublièrent peu à peu le confort des autres peuples qui vivaient sur leurs terres jusqu'à les exploiter. Faute de leur inattention envers leurs clans voisins, les Loutres organisèrent une rébellion pour renverser le pouvoir. Contre toute attente elles réussirent, jusqu'à conquérir cinq des contrées sur les neufs. Encore aujourd'hui, nous en possédons cinq baptisées la « Pax Lutra » et eux quatre.
-Et Asha souhaite reformer l'Empire de ses ancêtres ! s'exclama Luchia qui venait de comprendre.
-Exactement, c'est pourquoi le conflit est inévitable.


A l'intérieur de la Salle du Trône, la Reine méditait sur la meilleure défense à adopter, aidée par les conseils de sa fidèle Arisu.
-Qu'en penses-tu ? Devrions-nous provoquer Asha et ainsi confirmer une guerre entre nos deux clans, ou empêcher par tous les moyens un quelconque conflit ? demanda la Reine indécise.
- « La meilleure défense c'est l'attaque ! » Pas vrai ?
-Tu as raison. Mais si je mettais au courant Yashu, il empêchera peut être sa fille de nous attaquer.
-Ou il en profitera et mobilisera davantage de troupes ! Et alors nous n'aurons plus la moindre chance de remporter ce combat. Car oui, il va falloir se battre. Il ne faut pas ignorer l'évidence même ; le pacte d'entente que vous aviez mis en place n'était qu'une façade de paix.
Au fond nos deux pays sont en rivalité constante, que ce soit au niveau commercial, militaire ou territorial, expliqua Arisu dotée d'une grande capacité d'analyse.
-Quand sera la prochaine pleine Lune ?
-Cette nuit, votre Altesse...
Luffa soupira et ses épaules tombèrent, comme si toute sa force l'avait abandonné.
-Le pire des scénarios que j'avais imaginé se présente à nous. Il va falloir mettre tout en œuvre pour repousser l'ennemi. Va donc prévenir la garde ! Qu'elle se tienne prête à riposter face à l'invasion. Que les agriculteurs ramène tout ce qu'ils cultivent, malgré la saison peu favorable à la cueille et le niveau de maturité des aliments. Que les civils se regroupent dans la Grande Salle qui sera gardée par une vingtaine de soldats chargés de leur sécurité. Que les médecins et autres corps de métiers concernant la santé se tiennent à disposition de l'armée. Que les canons à eau soient remplis, je crois me souvenir que les loups n'aiment pas l'humidité. Ils essaieront sans doute d'allumer des feus pour nous effrayer, il faudra garder notre sang-froid et économiser l'eau tant que les flammes ne nous menacent pas. Je compte sur toi.
Sur ces mots, Arisu s'exécuta sous le regard inquiet de la Reine. Était-ce la bonne chose à faire ?


Sur les falaises qui surplombaient la forêt, Asha, une louve musclée au pelage roux, entourée de son armée, toisait la forêt d'un regard froid. A ses côtés son bras droit, un loup gris nommé Esus, contemplait le ciel nuageux.
-La nuit est tombée, pour le peu qu'on voit les étoiles scintillent et la Lune est dorénavant pleine, il est temps, déclara Esus à l'attention des troupes de loups armées jusqu'aux crocs qui lui faisaient face.
-Mes amis, mes frères ! L'heure que nous attendions tous est arrivée ! La persévérance, la loyauté, le courage, la force, la victoire, autant de synonymes que l'on pourrait donner à nous, les Loups ! Soyons fiers, soyons combatifs, et reprenons nos Terres ! s'époumona Asha avant qu'une vague de loups dévale le flanc de la falaise en direction du bois.
Ils pénétrèrent sans difficulté sous la voûte végétale et approchèrent toujours aussi facilement les différentes entrées.
D'un hurlement de loup commun, ils allumèrent différents incendies devant les tunnels pour que la fumée intoxique et fige les sens des loutres.
Malheureusement pour les loups, celles-ci semblaient avoir été informé puisqu'elles ripostèrent par de puissants jets d'eau qui épuisèrent le feu jusqu'aux cendres, suivis par un mur de flèches qui fonçait droit sur la meute. Les loups, agiles, eurent tout juste le temps de les éviter pour ne compter aucun blessés dans leurs rangs.
Alors qu'Esus allait ordonner le repli des troupes, une immense Loutre apparut à l'entrée du tunnel principal, escortée par six gardes du corps qui malgré leur grande taille, ne parvenaient pas à dépasser la Reine Luffa, même en sautillant.
-Asha, montre-toi ! s'exclama la loutre colossale qui sous son puissant souffle plia les branches des arbres et fit craquer leur écorce.
La louve, dont on discernait les muscles sous l'épaisse fourrure rousse s'avança d'une démarche assurée, sa gueule face au museau de la Reine qui déclara :
-Je suis venue mettre fin à un massacre avant qu'il ne commence. Cette guerre a eu lieu il y a un millénaire, or je doute que nos aïeux souhaitaient que ce conflit perdure jusqu'à nos jours. Ils se riraient même sûrement de notre stupidité, eux qui ont laissé des millions de vies sur le champ de bataille, ils pensaient sûrement que cela servirait au moins de leçon à leur progéniture !
-Ils défendaient seulement ce qui leur appartenait. Je me dois de réussir là où ils ont échoué.
Asha ne laissa pas le temps de répliquer, qu'elle s'élançait déjà avec toute sa hargne, griffes et crocs au dehors, avec pour cible l'imposante loutre.
Mais son élan fut stoppé net par un loup au pelage aussi sombre que la nuit. Ses yeux jaunes flamboyants de colère se posèrent instantanément sur la louve rousse qui paraissait toute frêle à côté du loup noir. Celle-ci, en reconnaissant celui qui se tenait devant elle, baissa les oreilles plus bas que terre.
-Comment as-tu osé ?! Un pacte est un pacte, on ne le transgresse pas, parole de loup ! Tu as trahis le peuple de la Pax Lutra, mais aussi ton propre peuple ! Tu dois des excuses à tous et à toutes ici présent, maintenant ! grogna jusqu'à en faire trembler les feuilles Yashuriken, le père d'Asharingan.
Après de longues excuses d'une Asha affolée, ponctuées des reproches de son loup de père, celui-ci pris la parole.
-Avec toutes mes excuses, celles de ma fille et de toute ma meute, je souhaiterais que nos territoires respectifs soient regroupés en un seul pays dirigé par celui ou celle qui sera élu par la majorité, que ce soit un loup, une loutre, un panda, une chauve-souris ou une poule d'eau ! Que le pouvoir appartienne au peuple, et que la paix règne enfin entre nos deux patries.
A la vue de l'enthousiasme de toute l'assemblée qui s'était attroupée autour d'eux, la Reine Luffa pris sa décision :
-Demande acceptée. Le nouveau pays, formé des Neufs Anciennes Contrées se nommera à présent Manga No Sekai ! Les élections auront lieu dans un mois, pour laisser le temps aux différents citoyens de se présenter s'ils le souhaitent et d'organiser les votes.
Mes amis, vous êtes dorénavant et pour toujours, des enfants de la paix, des acteurs de la réconciliation, des porteurs d'une grande histoire : des Manga No Sekaiens !

Et c'est ainsi qu'on apprit, que lorsque deux clans s'unissent, leurs membres, quels qu'ils soient, se mélangent pour former une seule et unique famille.